Les 3°3 questionnent le devoir de mémoire

Le jeudi 3 février 2022, tous les élèves de 3ème ont participé à une « Journée mémorielle » du système concentrationnaire nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, organisée au collège par l’Espace Malraux. Le matin, ils ont assisté à la projection du film Le fantôme de Theresienstadt, réalisé par Baptiste Cogitore, qui part sur les traces du jeune Hanuš Hachenburg, un orphelin tchèque de 13 ans déporté en octobre 1942 dans le ghetto de Theresienstadt. L’après-midi, les élèves ont assisté à la représentation du spectacle Le coeur est un feu (Cie Rodéo d’âme) où la comédienne Claire Audhuy reprend, accompagnée par le violoncelliste Tristan Lescêne, les textes écrits par Hanuš Hachenburg lorsqu’il était à Theresienstadt.

Alors que les élèves de 3°3 ont également travaillé en cours de français sur le roman Petit Pays de Gaël Faye et le poème « Si c’est un homme » de Primo Levi, Madame Nkundwa leur a posé cette question : En quoi est-il original et utile pour les jeunes générations de découvrir les violences de l’histoire contemporaine ? Aléïna, Célia, Julie, Linda, Manuela, Orlane et Yanis nous livrent leurs réflexions.

« L’écriture comme témoignage » (Aléïna)

De nos jours, les jeunes générations n’ont pas besoin de se soucier de leur quotidien, ni du lendemain, car en 2022, nous n’avons pas connu la terreur de la guerre. Nous vivons en paix. (Célia)

Mais les élections présidentielles approchent peu à peu. Malheureusement, on entend sortir de la bouche de certains candidats des propos horribles rappelant certains passages de la guerre. (Linda)

L’Histoire n’est pas réservée aux historiens. Les guerres anciennes ou récentes ont été pour beaucoup d’entre elles racontées par celles et ceux qui les ont vécues. En cela, l’écriture autobiographique prend une dimension particulière. Comment peut-on éviter de réitérer les erreurs du passé, si ce n’est en sensibilisant les jeunes générations ? 

Qu’il s’agisse du film On a besoin d’un fantôme qui met en lumière la vie du jeune Hanuš Hachenburg, du poème « Si c’est un homme » de Primo Levi ou encore du livre Petit Pays de Gaël Faye, un seul terme nous vient immédiatement à l’esprit : la souffrance. Les artistes ont réussi à mettre les mots sur l’indicible, parfois même de façon poétique, peut-être pour atténuer leur douleur. Grâce à eux, l’Histoire même sous son plus mauvais jour est transmise non pas par de simples témoignages mais par la culture au sens large du terme.  (Aléïna)

Leur point commun est qu’ils ont été tous les trois confrontés aux violences de la guerre et qu’ils veulent nous partager leur parcours. (Orlane)

Hanuš Hachenburg : le fantôme de Theresienstadt

Hanuš Hachenburg est un enfant de 13 ans enfermé dans le ghetto de Theresienstadt pendant la Seconde Guerre mondiale, par les nazis. Il écrivait et décrivait ses journées sur du papier, il en a même créé un journal qu’il a appelé Vedem. Ce journal était une revue clandestine tenue par les enfants de la chambre 1. Mais il ne s’est pas arrêté là, il a même créé une pièce théâtrale de marionnettes : On a besoin d’un fantôme. (Célia)

Affiche du film Le fantôme de Theresienstadt

Dans cette pièce, il se moque du dictateur allemand Adolf Hitler, qu’il renomme « Analphabète 1er ». Dans sa pièce, il parle du régime nazi d’Hitler et du beau mensonge déguisé. (Manuela) Theresienstadt était effectivement conçu par les nazis à des fins de propagande comme un « camp modèle ». Hanuš est assassiné dans une chambre à gaz à Birkenau quelques mois plus tard.

La guerre l’a détruit physiquement mais ne l’a pas empêché d’écrire. Il dénonce dans sa pièce de théâtre l’horreur de la guerre en utilisant l’humour. Cette œuvre étonnante et lucide permet de mieux mesurer la résistance artistique des enfants. (Yanis)

L’histoire de Hanuš Hachenburg m’a touchée car on relève dans son écriture les violences et les affreuses conditions de vie dans les camps. Dans ces camps, ils vivaient la misère. Ils avaient froid, étaient seuls, n’avaient presque pas à manger. (Linda)

Ce spectacle était très intéressant car il met en avant ce que Hanuš Hachenburg a vécu pendant la guerre. Nous, jeunes générations, ne savons pas tous les morts, les dégâts, les bombardements. Ce spectacle m’a apporté de la tristesse mais aussi de la reconnaissance pour tout ce qu’ils ont fait. (Julie)

Primo Levi, « Si c’est un homme »

Vous qui vivez en toute quiétude 
Bien au chaud dans vos maisons, 
Vous qui trouvez le soir en rentrant 
La table mise et des visages amis, 
Considérez si c'est un homme 
Que celui qui peine dans la boue, 
Qui ne connaît pas de repos, 
Qui se bat pour un quignon de pain, 
Qui meurt pour un oui pour un non. 

Considérez si c'est une femme 
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux 
Et jusqu'à la force de se souvenir, 
Les yeux vides et le sein froid 
Comme une grenouille en hiver. 
N'oubliez pas que cela fut, 
Non, ne l'oubliez pas : 
Gravez ces mots dans votre cœur. 
Pensez-y chez vous, dans la rue, 
En vous couchant, en vous levant ; 
Répétez-les à vos enfants. 
Ou que votre maison s'écroule, 
Que la maladie vous accable, 
Que vos enfants se détournent de vous. 
Primo Levi vers 1960 (© CDEC Digital Library)

Primo Levi, arrêté le 13 décembre 1943 par les milices fascistes, avait 24 ans et venait aussi d’une famille juive. Il a été déporté vers Auschwitz et s’est mis à imaginer des choses à raconter et à écrire sur son histoire dans la Shoah. Primo Levi commença donc l’écriture à sa libération, le 27 janvier 1945. Son œuvre sera le premier témoignage sur le système concentrationnaire. (Célia)

Il souhaite transmettre son histoire à travers un poème « Si c’est un homme ». Dans son œuvre, il compare la vie ordinaire d’un homme à celle d’un prisonnier de camp afin que personne n’oublie ce qui s’est passé. Il en appelle au devoir de mémoire et de transmission de l’histoire. Il démontre aussi que la guerre peut vider un individu de son humanité. (Yanis)

Dans ce poème, il envie les gens à l’extérieur et libres. (Manuela)

L’expression particulière et intime des poèmes de Hanuš Hachenburg démontre à quel point la souffrance vécue se doit d’être racontée même au péril de sa vie. Le besoin vital de s’exprimer, d’extérioriser son vécu a par exemple aidé Primo Levi à garder sa dignité malgré toutes les atrocités qu’il a endurées. Ces crimes contre l’humanité qu’ont raconté ces deux auteurs de façon personnelle ont concerné des millions de personnes juives. Ces discriminations ethniques ont également marqué le continent africain dans une période plus proche comme en témoigne le livre Petit Pays de Gaël Faye. (Aléïna)

Petit Pays : « Ce livre nous apprend à être tolérant » (Manuela)

Gaël Faye en concert au festival du bout du Monde en 2013
(© Thesupermat, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)

Gaël Faye est né en 1982 au Burundi. Après le déclenchement de la guerre civile et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, il arrive en France. En 2020, il sort le livre Petit pays parlant de son histoire pendant la guerre. (Célia)

La guerre, les génocides, les attentats sont de plus en plus nombreux dans le monde et ces actes peuvent nous toucher à n’importe quel moment et nous détruire de l’intérieur ou de l’extérieur. Petit Pays de Gaël Faye nous raconte comment Gaël Faye a tout perdu du jour au lendemain. Il a perdu ses amis, son innocence, la joie de vivre de ses parents, sa famille et son pays… (Linda)

La guerre le rend nostalgique car sa vie est devenue très difficile. Il ne peut plus vivre une vie d’enfant car il est confronté à la terreur. (Yanis)

Ce livre nous apprend à être tolérant envers autrui, ce qui est très important dans le monde. (Manuela)

J’adore la toute fin, là où il dit : « Je ne sais pas comment cette histoire finira. Mais je me souviens comment tout a commencé. » (Julie)

« La souffrance décrite dans une œuvre ne doit jamais laisser insensible son lecteur » (Aléïna)

Ces œuvres ont poussé les élèves de 3°3 à s’interroger sur ce genre littéraire particulier qu’est l’autobiographie :

La personnification de l’Histoire à travers l’écriture autobiographique va non seulement amener de l’empathie chez le lecteur, mais également le rassurer sur l’authenticité des récits. Le tête à tête avec l’auteur va permettre au lecteur d’entrer dans la peau du confident, du garant de la mémoire des époques les plus sombres.

Même si l’écriture autobiographique est à la base une démarche personnelle, elle a dans les cas que nous avons étudiés un intérêt collectif immense. A travers leur propre histoire, ces auteurs permettent une prise de conscience générale et retranscrivent le quotidien de millions de personnes à une époque donnée.

Ainsi, les témoins du passé ont souvent la lourde responsabilité de révéler toutes les vérités, surtout celles qui ont marqué l’humanité. La souffrance décrite dans un poème, dans un film, ou dans un livre ne doit jamais laisser insensible son lecteur. L’autobiographie, même si elle peut avoir un caractère léger, prend une toute autre valeur lorsqu’il s’agit de récit d’hommes et de femmes voire d’enfants qui ont souffert dans leur chair. […] Tout ces auteurs qui ont contribué à dénoncer le pire ont-ils été entendus partout ? Les commémorations, avec leurs valeurs morales et historiques suffisent-elles à prétendre que l’on a pris en compte les erreurs du passé ? (Aléïna)

« Chaque homme est mon frère » ( Hanuš Hachenburg)

Les élèves reviennent alors à la question posée par Madame Nkudwa : En quoi est-il original et utile pour les jeunes générations de découvrir les violences de l’histoire contemporaine ?

On remarque que les impacts de la guerre sur l’individu demeurent, même après la libération. Et si la transmission de l’histoire rendait les individus plus unis ? (Yanis)

Hanuš Hachenburg , Primo Levi et Gaël Faye ne se sont jamais arrêtés au premier obstacle, sachant qu’ils étaient en pleine guerre et que d’un moment à l’autre ils pouvaient perdre la vie. Ils ne vivaient pas du tout dans de bonnes conditions, ils vivaient dans la mauvaise hygiène, la malpropreté et la malnutrition. Tout était compliqué pour eux, par rapport à nous qui vivons sous un toit, à l’abri, avec une bonne nourriture, une tenue vestimentaire adaptée et une bonne éducation, et tout cela sans violence. Le message à retenir, c’est de ne jamais baisser les bras ou de trouver des excuses, car eux ont réussi des exploits dans des situations horribles. Donc aujourd’hui nous pouvons tous réussir si on y croit et si on ne lâche rien ! (Célia)

Tous ces témoignages aussi terrifiants soient-ils, chargés d’émotion, nous permettent de prendre conscience de la violence de l’Histoire contemporaine. Les jeunes générations comptent parmi elles les futurs décideurs, qui devront savoir se servir des leçons du passé, pour ne plus jamais soumettre l’humanité à de telles atrocités.

Par ailleurs, pouvoir accéder à ces récits, ces films ou encore ces poèmes vont nous permettre de mesurer et d’apprécier l’importance de vivre dans un pays en paix. Cette paix à la fois précieuse et fragile dépend justement de la prise de conscience par les jeunes générations des guerres du passé. (Aléïna)

Cette journée nous sert aussi à savoir vivre en société et être solidaires. (Manuela)

Cela nous a permis de prendre conscience de ce qu’est vraiment l’horreur (fatigue, souffrance, peur de mourir…) ainsi que la chance que nous avons (manger à notre faim, dormir dans un lit…). Nous avons été étonnés en découvrant autant d’horreur, nous avons été en admiration face à ces enfants qui ont dû endurer tout ça ( Hanuš, Gaël). Le fait de savoir que ce sont des histoires réelles nous a touchés. On a trouvé qu’il faut beaucoup de courage et que Hanuš était très mature quand il a dit « Chaque homme est mon frère ». (Orlane)

La Stolperstein (pierre commémorative) de Hanuš Hachenburg
(© Francisco Peralta Torrejón, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons)

En conclusion, il est bien pour les jeunes générations de découvrir les violences de l’histoire. Ils pourront prendre conscience à quel point la violence peut-être horrible et se rendront compte que la vie n’est pas toujours belle. N’importe qui peut faire basculer notre vie. Il est aussi important qu’ils aient une petite pensée envers les hommes et les femmes qui se sont battus pour nous et qui ont vécu des choses [horribles]. (Linda)

On pourrait se demander ce que nous avons à raconter aujourd’hui… (Orlane)

Laissons le mot de la fin à la comédienne Claire Audhuy : « Merci aux élèves pour ces retours, ces réflexions, et ces messages attentifs, notamment quand plusieurs évoquent les élections, le racisme, la fragilité de la paix. Bravo à eux pour leur attention et leur faculté à créer des liens entre toutes ces matières poétiques et humaines. »

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